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Les marabouts de la Goutte d’Or

Publié le 13 juin 2022

C’était comment, la Goutte d’Or, il y a 50 ans ? 20 ans ? 5 ans ? Goutte d’Or & Vous ressort une archive des cartons qui témoigne de l’évolution du quartier : vieux reportages de JT, revue de presse, pétitions... Cette semaine, Goutte d’Or & Vous propose de dépasser le jugement hâtif et manichéen pour comprendre l’histoire et la subsistance des marabouts à la Goutte d’Or.

Nul doute qu’aux abords de la station de métro Château-Rouge, vous avez déjà été interloqués par la réception de cartes de visite sur lesquelles sont inscrites les coordonnées d’un dit marabout ou guérisseur. Résolution de l’infidélité de votre moitié, alternative aux médicaments durant un épisode dépressif de trop longue durée ou autres problématiques quotidiennes peuvent être résolues par une consultation. Tantôt accusés de charlatanisme, tantôt d’impiété, les critiques envers les marabouts ne tarissent pas. Celles-ci se constituent par la croyance ou non de ces pratiques. Ce prisme critique entretient le mystère régnant autour de ces individus, mais est insuffisant pour comprendre le succès, la permanence de la présence des marabouts au sein du quartier. Il ne s’agit pas d’engager un procès pour juger les marabouts par un sondage ou un tribunal populaire organisé place Cheikha Remitti. Dans cet article, il vous est proposé de dépasser le jugement hâtif et manichéen pour comprendre l’histoire et la subsistance des marabouts dans la Goutte d’Or. À l’aide des archives de la Salle Saint-Bruno, il est possible de retracer l’itinéraire des marabouts depuis le Moyen-Âge et de voir comment ils se sont implantés à partir des années 1960 à Paris. Cette étude, croisée entre données historiographiques, sociologiques, anthropologiques, permet de saisir l’attachement à l’ésotérisme et à la magie dans des sociétés désenchantées dans lesquelles le rationnel ne peut donner des réponses suffisantes aux problématiques quotidiennes et aux interrogations métaphysiques. D’autre part, les pratiques ancestrales à l’instar de celles des marabouts sont également des moyens de renouer avec une culture ou bien alors de la dépasser afin d’admettre qu’il existe une universelle quête de sens.

L’itinéraire historique des marabouts depuis le Moyen-Âge

Le mot marabout est issu de la langue arabe « mar-bot », signifiant étymologiquement « moine-soldat ». Ce terme naît sous la domination de la dynastie Almoravide au Maghreb. Ces moines-soldats résident dans des “ribats”, des couvents placés aux frontières pour lutter contre les infidèles. Il existe pour autant une évolution sémantique : les marabouts sont considérés au fil des siècles comme des sages vivant isolés ou des maîtres transmettant des connaissances. La perception du marabout évolue au gré des syncrétismes. Les rites sont issus à la fois de rites antiques gardés aux premiers temps de l’islam par les musulmans et des traditions africaines ancestrales. Les marabouts se revendiquent d’ascendance chérifienne, c’est-à-dire comme des descendants directs du prophète Mahomet. À cela, s’ajoute l’influence soufie, un courant de l’islam composé de rites initiatiques et organisé en confréries. Cette transmission de connaissances du maître à l’élève confère à ces pratiques un certain prestige par le secret entretenu et l’inaccessibilité apparente des connaissances. Aujourd’hui, notre perception des marabouts est dépendante d’un récit historique dominant et construit durant la période coloniale. Durant le XIXe siècle en Afrique, les autorités françaises ont forgé leurs politiques sur un rejet de l’islam. Les croyances traditionnelles furent pour eux un obstacle politique étant donné que les marabouts disposent d’un prestige local et qu’ils sont accusés d’attiser les superstitions ainsi que l’hostilité à la présence française.

L’arrivée des marabouts en France

Des marabouts sont recensés à Paris dès les années 1960, pour autant, c’est dans les années 1980 que les marabouts se multiplient. Le statut juridique et civil de ces marabouts implique de nouveaux questionnements notamment dans un contexte d’une forte immigration où la régularisation des clandestins est déjà une problématique majeure. Au départ, les marabouts reçoivent une carte de commerçant avec le titre de séjour de marchand ambulant. À la fin de l’année 1983, la préfecture parisienne recensait 482 marabouts, dont 246 dans le 18e arrondissement. Dans la Goutte d’Or, est constatée une forte implantation dans le secteur nord vers la rue Polonceau ainsi que dans les rues commerciales comme la rue Myrha, rue des Poissonniers. Les marabouts sont moins présents dans la partie sud.

Répartition des marabouts à la Goutte d’Or en 2002

Des enquêtes se multiplient à propos des marabouts sous le gouvernement de François Mitterrand et s’ensuit un phénomène médiatique. Des articles se multiplient dans les journaux : Le Figaro publie un article le 5 septembre 1980 se nommant « Les petits marchands d’illusions », Le Monde publie « Les marabouts en exil » le 26 octobre 1981,Le Nouvel Observateur, le 22 février, 1985 « Marabouts : de 200 à 2000 francs ». Cette médiatisation s’alimente d’autant plus par un développement publicitaire de la part des marabouts : multiplication des cartes de visite et d’affiches. À long terme, cela permet une certaine routinisation de ses pratiques et l’acceptation de leur présence. D’autre part, on peut parler d’occidentalisation des pratiques à travers quelques phénomènes : le lieu d’exercice dans la plupart des cas établit une séparation entre l’espace public et l’espace privé comme en témoigne l’apparition de salles d’attente. La symbolique est forte : on se rend chez le marabout comme chez le médecin, on ne soigne pas seulement les symptômes, mais leurs causes invisibles.

Le cosmopolitisme parisien au service du marabout

Les identités culturelles constituent un facteur clé d’analyse pour percevoir la place des marabouts dans notre société. Elles permettent d’une part de discerner les origines des pratiques maraboutiques, mais aussi de savoir si le marabout s’inscrit dans cet héritage ou non. À l’instar d’un marabout interrogé par Liliane Kuczynski dans son ouvrage Les Marabouts africains à Paris (2002), il déclare « moi, je suis international ». La rencontre entre pratiques magiques traditionnelles et universalisme exclamé permet de retracer avec justesse l’évolution du travail ainsi que le statut du marabout à partir de la deuxième moitié du XXe siècle. Bien que la multiplication des marabouts est intimement liée à l’immigration africaine, celle-ci n’est pas une conséquence de ce phénomène selon eux. Le mot « immigration » n’existe pas dans les dialectes africains. En pulaar, un dialecte africain parlé au Sénégal et au Mali, l’expression « yaade farayse » signifie « venir en France ». Dans cette expression le verbe venir n’implique pas un statut définitif, mais plutôt l’idée d’un voyage. Au niveau linguistique, se joue également un imaginaire qui nourrit le mysticisme du marabout et son statut hors de son pays de naissance. L’identité culturelle est également importante pour analyser la clientèle du marabout. La clientèle parisienne ne s’affilie pas nécessairement aux croyances religieuses du marabout : elle croit aux gestes, aux savoirs. Le marabout semble rendre accessible l’inaccessible. En fonction des cultures, le motif des consultations change. Les Français consultent majoritairement pour des problématiques amoureuses, les Antillais sur l’ascension sociale, les Africains sur l’acquisition de papiers. La connaissance de ces éléments permet aussi aux marabouts d’améliorer leurs moyens de communication et leur publicité.

Un ré-enchantement du monde par les marabouts

L’expression « désenchantement du monde » a été mainte fois reprise au début du XXe siècle afin de désigner le processus de sécularisation de notre société en Occident, progressivement la religion n’est plus la pierre angulaire des systèmes juridico-politiques, la morale s’émancipe des valeurs prônées dans le christianisme. Dieu a laissé sa place à la raison humaine, acmé de nos sociétés : nos actions nous permettent de vivre en dehors de la plausible orchestration divine. Pour autant, cette rationalité, poussée à son paroxysme, constituant une base canonique à toutes actions humaines ne signifierait-elle pas l’acceptation d’une linéarité, la réduction à néant de l’imaginaire ? Les espérances ne fleurissent que dans l’attente mais ne trouvent aucun interlocuteur dans la souffrance. Dénouer, résoudre : voici ce que les marabouts offrent ; ce sont des solutions presque palpables, un réconfort dans l’énonciation même d’une autre réalité. Les marabouts ont réintroduit les croyances dans l’espace public : voilà ce qui peut paraître saugrenu, c’est l’attachement aux traditions tout en répondant aux codes de la modernité plutôt que d’être à la marge et de s’y opposer.

Par Noame Toumiat.



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