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Échos de l’Univers : Éric, chauffeur de taxi

Publié le 14 décembre 2015 -

Arthur et Valentine ont rencontré Éric, ancien chauffeur de taxi parisien, d’origine algérienne et habitant de la Goutte d’Or depuis plusieurs dizaines d’années.

Arthur et Valentine sont de jeunes parents installés à la Goutte d’Or. Accompagnés de Cézanne, 6 mois, ils partent à la rencontre d’autres habitants du quartier pour faire leur connaissance, en discutant sur un ton décontracté et curieux. Donc si vous les croisez un samedi matin, magnéto en main, n’hésitez pas à aller vers eux. Pourquoi « Échos de l’Univers » ? Parce que leur première interview s’est passée au bar de l’Hôtel de l’Univers et qu’ils considèrent que c’est un joli clin d’œil au multiculturalisme d’un quartier dont ils sont fiers.
Ce mois-ci, ils ont rencontré Éric [1], ancien chauffeur de taxi parisien, d’origine algérienne et habitant de la Goutte d’Or depuis plusieurs dizaines d’années.

Nous rencontrons en ce dimanche matin, un habitant du quartier que nous appellerons Éric, la cinquantaine, qui partage un café avec quelques habitués. Après de brèves présentations, notre discussion se concentre sur le métier de chauffeur de taxi à Paris, qu’Éric a exercé pendant 30 ans et qu’il a dû cesser pour des raisons médicales.

Le dur métier de chauffeur de taxi

Éric nous raconte avoir personnellement souffert de la concurrence qu’entretiennent les différents statuts de taxi. Le longs des boulevards parisiens, se livre une véritable foire d’empoigne entre les chauffeurs propriétaires de leur propre licence (qui est en réalité une autorisation de stationner sur la voie publique), les entreprises exploitant des licences, les chauffeurs VTC (Véhicules de Transport avec Chauffeur, notamment soumis à l’interdiction de prendre un client sans réservation), les chauffeurs illégaux et, plus récemment, les nouvelles pratiques facilitées par le numérique comme Uber Pop. Sur ce sujet très médiatisé, Éric se montre résigné affirmant que la concurrence des VTC a en réalité toujours existé, notamment sous la forme de taxis clandestins, dont la recrudescence a conduit à la création d’une brigade de police spéciale en 2009.

Le pire, selon Éric, se cache surtout dans le contrat qu’il a dû signer, qui portait à la fois sur la location d’un véhicule et sur la licence de taxi, mais également sur la prise en charge personnelle de la part salariale des cotisations sociales, des assurances ou encore de l’entretien du véhicule.

Ce type de contrat proposé par certaines sociétés a pour contrepartie une redevance très chère, toujours plus élevée d’après notre interlocuteur. Toutes ces charges rendent impossible toute épargne pour le locataire, qui aurait pu lui permettre à terme d’acquérir son véhicule et sa licence et donc de voler de ses propres ailes. Au final, en devant reverser une centaine d’euros par jour à la compagnie, Éric arrivait tout juste à obtenir un SMIC malgré ses 11 heures de travail quotidien. C’est bien peu pour pouvoir louer un grand appartement pour faire venir sa femme et ses enfants restés en Algérie – le logement adéquat étant une condition nécessaire du regroupement familial. La précarité de ce contrat plutôt rare (11% des taxis circulant sont sur ce modèle selon l’INSEE [2]) est régulièrement pointée du doigt et la Cour de cassation a pu requalifier ce contrat en contrat de travail compte tenu du lien de subordination subi par le locataire. Cette requalification permet au locataire de percevoir notamment des allocations chômage auxquelles il n’a pas droit en sa qualité d’indépendant.

La transformation positive de la Goutte d’Or

Éric est en France depuis une quarantaine d’années, depuis sa majorité. Il se sent donc français et parisien d’origine algérienne. La vie n’a pas été facile mais notre interlocuteur reste positif et joyeux. C’est avec cette gaîté qu’il évoque la transformation de la Goutte d’Or, dont il profite chaque jour.

« À l’époque on était comme dans des ghettos, c’est mieux maintenant », commente-t-il. « Les blancs, les maghrébins et les noirs échangent et s’habituent les uns aux autres, et en discutant, on peut changer ». Ce sont ces éléments qu’Éric retient de « l’arrivée des blancs » à la Goutte d’Or. Notre interlocuteur apprécie aussi le nombre d’associations présentes depuis peu dans le quartier : « Maintenant, il y a un ensemble d’associations un peu partout, grâce à dieu. Ça aide les gens sur les problèmes de la vie ».

Il aime également que le quartier soit plus propre et apprécie l’apparition de nouveaux bâtiments modernes remplaçant les logements insalubres. Il faut dire que lui ne subit pas les contrecoups locatifs de l’arrivée des classes moyennes supérieurs dans le 18e arrondissement, son propriétaire n’augmentant pas le loyer de sa chambre longue durée* de 10m2, située juste au-dessus du café. (Découvrant par cette remarque une face inexplorée du Café de l’Univers, à savoir la location de chambre longue durée, nous notons dans un coin de notre tête d’explorer ce sujet dans une prochaine chronique.)

La gentrification, autrement dit l’embourgeoisement des quartiers populaires parisiens, a fait couler beaucoup d’encre. Il reste cependant très difficile d’y voir clair dans ce processus. Schématiquement, d’un côté les pouvoirs publics se défendent de soutenir les classes populaires en réhabilitant les logements insalubres et en créant des logements sociaux dans les quartiers populaires (30% des logements de la Goutte d’Or selon la mairie) mais aussi d’en réaménager l’espace public pour plus de convivialité. De l’autre côté, les habitants et certains experts insistent sur le fait que ces mêmes actions participent à la gentrification. En effet, les populations qui habitaient les logements insalubres ne sont pas toujours relogées sur place et une grande partie des logements sociaux nouvellement créés sont soumis à des plafonds de revenus élevés, qui permettent souvent d’assurer la rentabilité des projets immobiliers [3].

La distance dans les rapports avec l’administration

Lorsque nous proposons de terminer notre échange sur la question de la politique, Éric nous répond cash, qu’il a « tellement de problèmes » que s’intéresser sérieusement à la politique lui est impossible. Il préfère nous parler de ses relations avec l’administration, aux agents de la CAF en particulier. Il regrette le manque de fraternité et de dialogue qui était selon lui plus tangibles il y a quelques années.

« J’ai vu une différence avec l’époque et maintenant : vous aviez plus le droit de converser avec un agent. À l’époque quand on demandait un chef de service, il était là, il travaillait à côté […] Maintenant il y a un mur, c’est la personne du guichet qui le met ». Lors de la constitution du dossier d’indemnisation liée à son insuffisance cardiaque, ce sont davantage les associations qui l’ont écouté et orienté, que les services publics.

Arthur et Valentine

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