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"Parlons culture et identité du rap français au FGO Barbara"

Publié le 17 avril 2025

Un article de Justin De Oliveira

Le 26 juillet 2024, Aya Nakamura, chanteuse devenue une icône incontournable de la pop, de l’Afrobeat et du R&B en France, faisait sensation en livrant une prestation spectaculaire sur le Pont des Arts, accompagnée de la Garde nationale. Bien qu’elle soit une figure de proue d’une culture musicale vivante, et qu’elle soit l’artiste française la plus écoutée à l’international, cette performance a agité l’opinion publique.

Pour certaines figures médiatiques, comme la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, qui s’était exprimée à ce sujet sur le plateau de France Inter, faire de la chanteuse franco-malienne la représentante de la culture française pour les Jeux olympiques de Paris constituait une pure « provocation » : en aucun cas on ne donnait ici une image fidèle de l’identité nationale.

Comment expliquer ce décalage entre la musique d’Aya Nakamura, véritable vitrine internationale de la culture française, et le refus catégorique d’admettre qu’elle puisse l’incarner lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux ?
C’est cette question déconcertante qui a attiré l’attention du journaliste Thomas Blondeau, qui prononçait, le vendredi 14 mars 2025, une conférence sur les influences, les héritages et les identités dans le rap français.

L’événement, organisé par le centre culturel La Place dans le cadre de la L2P Convention, occupait la scène du FGO-Barbara, au cœur du XVIIIᵉ arrondissement de Paris, dans le quartier de la Goutte d’Or.
La conférence invitait journalistes, chercheur·euses universitaires et simples curieux·ses à remonter aux origines du rap en France.

Thomas Blondeau, journaliste spécialiste du rap et des musiques afro-américaines, était accompagné de Dolorès Bakela, fondatrice du média L’Afro, qui documente la vie des Afrodescendant·es. Cette journaliste accorde aussi une grande attention aux questions de discriminations et à la place des femmes noires dans l’industrie musicale.

Keivan Djavadzadeh, maître de conférences à l’Université Paris VIII et auteur de l’ouvrage Hot, Cool and Vicious : genre, race et sexualité dans le rap états-unien (Éditions Amsterdam, 2021) complétait le panel. Lui aussi s’intéresse à la place des femmes dans l’industrie musicale, adoptant une approche croisant sciences de la communication et sciences sociales pour identifier les rapports sociaux de race et la culture de la célébrité.

L’histoire du rap français : parcours d’un genre musical aux origines multiples

Pour Thomas Blondeau, la question de l’identité et de la culture accompagne le rap depuis son arrivée dans les banlieues parisiennes au début des années 1990.
Dès ses débuts, les rappeur·euses et producteur·rices, issu·es d’origines sociales, ethniques et culturelles diverses, montrent que la musique française ne se limite ni au territoire hexagonal ni à un discours politique normatif sur ce qui représenterait l’identité française.

Au fil de la soirée, il a fallu remonter dans le temps pour constater que les discours et les sonorités du rap français ouvraient une porte sur la diversité culturelle du pays.

Le rap est arrivé à nos oreilles grâce aux tentatives – parfois encore hésitantes – de groupes comme Suprême NTM ou Assassin, qui s’inspirèrent des figures majeures du rap américain (Public Enemy, etc.) pour adapter ce style musical au contexte français.
L’usage de l’argot, d’un vocabulaire lié aux violences subies par les Afro-Américain·es, ou encore d’un discours politique relatant la réalité vécue par les classes marginalisées, furent peu à peu adaptés au contexte des villes françaises et de leurs périphéries.

Pour les pionnier·ères du rap en France, le micro devint un formidable moyen d’expression, leur permettant de donner une voix à une part de la population peu entendue ou uniquement lorsque stigmatisée, qualifiée alors de « racaille ».

Mais alors, quelle facette de l’identité française pouvait-on percevoir à travers ce nouveau genre musical ?
Dans les années 2000, le rap français s’est progressivement affranchi de l’influence culturelle américaine pour aborder des sujets liés à l’histoire coloniale française et à l’esclavage.
Des représentant·es de cette mémoire se trouvaient, par exemple, dans le groupe La Rumeur, dont l’un des membres phares, le rappeur Ekoué (originaire du XVIIIᵉ arrondissement), évoquait les difficultés des enfants issu·es de l’immigration africaine.

Tensions entre les identités du rap français et le conformisme de l’industrie

L’héritage culturel du rap français s’est parfois heurté à la musique « mainstream », diffusée massivement sur des radios comme Skyrock, qui ont vu leurs audiences exploser en misant sur les artistes du rap et du R&B nouvelle génération.

Cependant, malgré l’accès à une large audience, les artistes devaient composer avec les choix éditoriaux des directeur·rices de programmation et le formatage imposé par les radios, soucieuses de plaire au plus grand nombre.

Cela n’a pas empêché le rap de se déployer au grand jour, dans toute la richesse de ses identités.
L’émergence du collectif Secteur Ä ou l’ascension de l’artiste franco-congolais Passi témoignent de l’acceptation progressive d’une culture musicale métissée.

Pour autant, cette popularité ne s’est pas construite sans obstacles.
Certain·es artistes ont dû lutter pour s’imposer. Un exemple marquant reste la victoire du groupe Tontons du Bled en 1998 : un épisode symbolique pour des artistes issu·es des banlieues parisiennes, porteur·euses d’un héritage culturel lié à la colonisation et à l’immigration africaine.

Même si les sonorités et influences du rap étaient appréciées par les radios et une partie du public, cette reconnaissance n’était pas acquise d’avance. Elle s’inscrivait dans un rapport de force avec l’industrie musicale, encore réticente face aux préjugés associés à la classe sociale et à l’origine ethnique des artistes.

Aya Nakamura, les femmes et la scène rap : une lutte pour la visibilité

Revenir sur le cas d’Aya Nakamura permet aussi d’évoquer la question de la place des femmes dans l’espace public et dans la culture rap.
Le thème de l’invisibilisation des femmes – ainsi que des stéréotypes genrés – a particulièrement retenu l’attention de Dolorès Bakela et Keivan Djavadzadeh.
Journaliste pour l’une, chercheur pour l’autre, ils ont étudié la manière dont les rappeuses sont souvent cantonnées à des rôles sociaux traditionnels, au détriment de leur reconnaissance en tant qu’artistes à part entière.

Si certaines icônes féminines comme Diam’s dans les années 2000, ou Shay aujourd’hui, ont réussi à s’imposer, il reste plus difficile pour les femmes – et plus encore pour les femmes racisées – de se faire une place sans que leur corps, leur genre ou leur orientation sexuelle soient soumis à des injonctions particulières.

Dolorès Bakela a notamment souligné les stéréotypes présents chez de nombreux·ses acteur·rices de l’industrie musicale. Être une artiste, c’est parfois essuyer des refus de la part de maisons de production, peu enclines à prendre le « risque » de signer une femme.
C’est aussi subir des attentes esthétiques en matière de style, de coiffure, de maquillage.

Pour les trois intervenant·es, il ne s’agissait pas de blâmer un secteur en particulier, mais de montrer que l’écosystème du rap – en France comme ailleurs – reproduit des discriminations intersectionnelles, c’est-à-dire touchant à la fois le genre, la couleur de peau, les origines sociales et culturelles.

Ces stigmates ne sont pas propres au rap : ils font partie intégrante d’un système de normes encore très présent dans nos sociétés contemporaines.




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