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Article - "Un modèle de défilé"

Publié le 17 avril 2025

Un article de Catherine Geoffroy et Mathilde Lebrun

Ce samedi 22 mars nous était présenté un défilé de mode atypique, le modèle idéal des défilés de demain : beau, chaleureux, métissé, porteur des valeurs essentielles que sont la solidarité, l’attention à l’autre, le souci de l’environnement.

LE LIEU

Ça se passe dans un grand loft foisonnant : Le Poulpe, au cœur d’un quartier qui bouge, la Goutte d’or. Le Poulpe est une recyclerie où abondent vêtements, bibelots, vaisselle, jouets, électroménager… tout objet dont on souhaite se débarrasser pour lui donner une deuxième vie et faire des heureux à très bas prix. Le Poulpe est en effet le temple de la réparation et du reconditionnement. Et on y trouve aussi : un café solidaire, des ateliers de couture, des cours de yoga, des conférences-débats, des expositions…
Dès la fermeture, on a poussé les portants chargés d’habits pour dégager un espace et dérouler une piste rouge en lino : voilà le décor. Et à 20 heures, le public, nombreux, s’installe sur des chaises le long du parcours. En tendant la main, on pourrait toucher les vêtements des mannequins qui défilent…

LES COUTURIERS

Le défilé prend place dans le festival Africapitales, porté par le Lavoir Moderne Parisien. Chaque année depuis 2022, le festival organise autour d’une capitale africaine de nombreux événements culturels dans tout le quartier : spectacles, rencontres littéraires, expositions, projections, défilé de mode consacré à un.e ou deux stylistes.

Cette année, parce que Dakar est à l’honneur, le défilé met en lumière les couturiers de la Goutte d’Or : ils sont près de mille à y travailler, presque tous originaires d’Afrique de l’Ouest, et dans leur grande majorité Sénégalais.

Six d’entre eux sont représentés ce soir : Kalidou Ba, Douda Camara, Ahmed Diop, Moussa Ndiaye, Yaya Sadio et Ibrahima Sarr.

La participation des créateurs à cet événement met en lumière leur talent et revêt aussi une dimension politique importante. Montrer leur travail et leur implication au sein de la Goutte d’Or permet en effet de valoriser leur statut professionnel afin de leur faciliter l’obtention de titres de séjour. Ce défilé favorise donc la reconnaissance de leurs droits ; il contribue à dynamiser et tisser des liens entre les habitant·es, les visiteur·euses et les acteurs de ce quartier.

Incontournable figure de la Goutte d’Or, Annie Vallet aide depuis plusieurs années les couturiers africains à régler leurs démarches administratives, à s’établir et à se faire connaître. Elle a su gagner leur confiance, les connaît tous et nous explique leur activité.
Répartis sur près de deux cents ateliers, ce sont des couturiers, et non des couturières, car traditionnellement en Afrique, les professionnels de la confection sont des hommes, tandis que les femmes cousent au quotidien pour les besoins de leur famille.

Le terme générique “couturiers” recouvre en fait des métiers distincts : les tailleurs, spécialisés dans les vêtements pour hommes (ou, pour les femmes, les vestes et chemises) et les couturiers “flou”, qui réalisent des créations féminines souples, avec du volume ample, dans des étoffes fluides (robes, jupes, …). Ces deux spécialités sont représentées par les artisans présents ce soir. Il faudrait y ajouter les brodeurs et les retoucheurs - encore des métiers différents, bien présents à la Goutte d’Or.

Presque tous les couturiers du quartier ont appris le métier au Sénégal, dans leur famille. Forts de cette expérience, la plupart ont immédiatement travaillé à leur arrivée en France ; d’autres, plus rares, ont complété leur savoir-faire initial par des études spécialisées - comme Douda Camara, qui a suivi des cours en lycée professionnel et obtenu un CAP de vêtement flou.

Quelques-uns sont propriétaires d’un atelier dans lequel travaillent aussi, pour leur propre compte et leur propre clientèle, plusieurs autres couturiers, qui louent leur emplacement-machine.

Kalidou Ba possède l’atelier Africa Couture au 50 rue de la Goutte d’Or ; Douda Camara travaille rue Stephenson ; Ahmed Diop dans l’atelier de Yaya Sadio (Yaya Couture) 3 rue Affre et Ibrahima Sarr au 38 rue Polonceau.

Pour compléter leurs revenus, plusieurs d’entre eux ont un deuxième travail qui les mobilise tôt le matin ou tard le soir, la nuit, en dehors des heures passées à la couture.

Ahmed Diop, Kalidou Ba et Douda Camara

AUX ANTIPODES DE LA FASHION WEEK…

Printemps-été, automne-hiver… deux fois par an, avec un fort écho médiatique, les maisons de couture présentent les collections de prêt à porter et de haute couture imaginées par leurs stylistes et mises en valeur par les mannequins.

Le défilé de ce soir a un tout autre but : monter la capacité des couturiers de la Goutte d’Or à réaliser les commandes de leurs client·es. Car ce sont les client·es qui conçoivent le vêtement et indiquent ce qu’ils souhaitent. Ils s’appuient sur les suggestions et le style de l’artisan choisi, mais les stylistes, ce sont eux. Ensuite, le couturier prend le relais, avec sa créativité propre et son savoir-faire.

La clientèle, encore essentiellement africaine, vient de toute la France, voire de l’étranger, pour faire fabriquer ses vêtements sur mesure dans ce quartier qui réunit tant de talents exceptionnels. Les femmes commandent des robes d’apparat, pas dans le style africain : même à base de wax ou de bazin, elles les veulent largement fendues, près du corps, agrémentées de perles et autres ornements glamour - des “robes de stars”, nous dit Annie. Pour les hommes, la commande est plus traditionnelle : généralement, un boubou.
Dans cet esprit de réalisation d’une commande conçue par le client, les commanditaires, pour le défilé de ce soir, étaient… les mannequins.

Ils n’habitent pas le quartier et ont été recrutés via les réseaux sociaux, sans aucun prérequis de taille, de corpulence, ni d’origine. Chacun a indiqué au couturier pour lequel il allait défiler quels tissus il retenait parmi le choix proposé, les tissus ayant été achetés par la coopérative La Fabrique de la Goutte d’Or. Pour inventer le type et la forme du vêtement, le mannequin avait carte blanche. Puis le couturier a pris ses mensurations et fabriqué la commande.

LES MODÈLES

On se prendrait à rêver que les top modèles professionnels prennent exemple sur les mannequins amateur·ices de ce soir, qui défilent en souriant, en croisant nos regards, manifestement ravi·es d’être là. Ce sont des personnes réelles et vivantes, loin des codes de la profession qui imposent maigreur, visages inexpressifs, postures distantes et allure hautaine.
Avant le défilé, malgré le trac, tous·tes les modèles que nous avons sollicités se sont prêtés de bonne grâce à nos questions.

Koudia, 21 ans. Défile pour Kalidou Ba.

Koudia est sénégalaise, la thématique d’Africapitales centrée sur Dakar l’a donc intéressée, d’autant qu’elle aime et porte des tenues africaines : “elles représentent ce que je suis”. Étudiante en Ingénierie BTP Architecture, Koudia veut devenir ingénieure et continuer le mannequinat à la marge, comme loisir. Ce soir, c’est la première fois qu’elle défile.

Kalidou lui a montré des livres sur la mode africaine et Koudia lui a indiqué quel type de vêtements elle aime porter : étant voilée, elle apprécie la mode “modeste”, ou “mastour”. C’est un courant à la fois culturel et religieux, très présent notamment au Sénégal, avec des vêtements amples pour respecter la pudeur, brodés et aux couleurs vives. “Je trouve que cette mode manque de représentation dans le milieu du mannequinat et que c’est une bonne occasion de la mettre en avant.”

Koudia, mannequin

Eva, 18 ans. Défile pour Yaya Sadio.

Eva a déjà défilé et été modèle pour une créatrice indépendante mais le mannequinat reste pour elle un hobby : actuellement en Licence de Philosophie à Paris 1, elle voudrait plus tard devenir libraire.
Étant d’origine algéro-sénégalaise, Eva est intéressée par le côté “ethnique” de l’événement. Yaya lui a demandé ses inspirations puis lui a montré des formes et des tissus pour qu’elle conçoive elle-même son habit : “j’apprécie que les mannequins soient complètement impliqués dans la création des vêtements”.

Eva, mannequin

Soma, 24 ans. Défile pour Moussa Ndiaye.

Soma a déjà fait des shootings et des castings comme mannequin. Moussa lui a montré ses créations, demandé laquelle lui plaisait le plus, proposé différents tissus et laissé choisir la forme et le style : “je n’ai jamais eu autant de liberté, autant de choix”.

Le vêtement ainsi créé lui plaît beaucoup : “pour moi qui suis une personne queer, c’est rafraichissant de porter quelque chose de très innovant et universel, un vêtement qui peut plaire à tout le monde et être mis par n’importe qui, aussi bien dans la rue que pour un événement, une soirée”.

Soma attache une grande importance à sa tenue, il passe beaucoup de temps à s’habiller, aime ce qui sort du lot et attire l’œil. Il a fait des études de physique et souhaite préparer les concours des Grandes écoles scientifiques pour devenir chercheur. Il connaît bien la Goutte d’Or car, étant d’origine antillaise, il y vient souvent pour acheter des produits alimentaires qu’on ne trouve pas ailleurs.

Soma, mannequin

Valentin, 22 ans. Défile pour Kalidou Ba et pour Ahmed Diop.

Valentin est étudiant en STAPS Management du Sport à Créteil. Son projet professionnel : être plongeur et avoir son propre club de plongée sous-marine.

De par ses origines persanes, Valentin est attiré par le multiculturel. Ce soir, il défile pour la première fois mais voudrait réitérer plus tard cette expérience : elle rejoint ses centres d’intérêt puisque, dans la mode comme dans le sport, le corps est mis en avant. De plus, l’exercice du défilé l’oblige à sortir de sa zone de confort en s’exposant de plus en plus sur scène.

Kalidou lui a laissé une liberté totale pour concevoir son vêtement mais, contrairement aux autres mannequins, Valentin a préféré laisser la main au couturier, tant pour le textile que pour la forme. Il a seulement indiqué les grandes lignes de ce qu’il souhaitait, et se montre très content du résultat, “un travail de pro !”

Valentin, mannequin

Kelly, 23 ans. Défile pour Ahmed Diop.

Kelly défile pour la première fois. Elle a indiqué les visuels qu’elle préférait parmi les photos que lui avait envoyées Ahmed. Le tissu rose l’a inspirée, c’est une couleur qu’elle aime. A son tour, elle a envoyé à Ahmed une photo-type pour lui montrer la forme qu’elle souhaitait : une jupe courte, un bustier, une traîne derrière et il a fabriqué selon ses indications. Étudiante en Marketing et Communication, Kelly aime beaucoup les habits, le monde de la fashion. La mode ethnique l’intéresse car elle est d’origine congolaise, mais pas exclusivement : elle aime tous les styles.

Elle a ajouté ses propres bijoux et accessoires à la tenue qu’elle porte ce soir, ainsi que ses propres chaussures : “Même si on me donne une tenue, je tiens à ajouter quelque chose qui dise que c’est moi.”

Kelly, mannequin

Tasha, 35 ans. Défile pour Kalidou Ba.

À la base, Tasha est plasticienne. Elle vit à Orléans, où elle possède avec son mari, qui vient des Comores, une boutique de déco et de vêtements vintage. Elle a déjà défilé pour des créateurs indépendants au Mexique, son pays d’origine.

Tasha a choisi la forme du vêtement qu’elle porte ce soir - pantalon et tunique à manches évasées - mais pas le tissu. “J’aime ce qui est coloré, les mélanges et les fusions - entre l’urban style et le féminin, par exemple.”

Tasha, mannequin

Nous remercions vivement pour leur apport à cet article :

  • Annie Vallet, la bonne fée des couturiers africains
  • Jeanne Jezequel, du Lavoir Moderne Parisien, organisatrice du défilé
  • Les dix étudiantes du Master Industrie culturelle et créative de l’Université Paris 8, qui ont contribué à cette organisation et interviewé plusieurs couturiers.
  • Les mannequins qui ont accepté si gentiment de répondre à nos questions.
  • Les photographes Dominique Jouxtel et Isabelle Zdanevitch



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